FRA-TERRE-ECO : la fraternité dans l’économie
Réussir à entreprendre dans la coopération, sortant de la logique du profit, de la spéculation et de la domination, certains n’attendent pas l’avènement de l’Économie Distributive. Exemple de l’association FRA-TERRE-ECO à Colmar (68) : interview d’un de ses fondateur et actuel salarié Pierre Barnoux.
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P.B : FRA-TERRE-ECO : les mots ne sont pas choisis au hasard pour décrire tout le spectre des activités de cette association, qui veut introduire dans l’économie la fraternité, le souci de la planète et l’écologie.
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Le but de l’association est précisé dans les statuts : « Lors de la production, de la circulation, de la consommation des biens et services, faire naître une médiation entre les producteurs et consommateurs, afin qu’ils arrivent à un juste prix, qu’ils règlent leurs problèmes et trouvent tous leur compte pour la meilleure qualité possible. »
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Le poids du système bancaire tel qu’il est conçu est excessif et injuste ; il conduit à des prix trop élevés pour l’outil de travail (la terre, l’immobilier) ; il conduit à des endettements insupportables avec le temps. Il pèse sur tous les prix courants en les faisant perpétuellement augmenter et crée le besoin de croissance.
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La façon de concevoir le travail et le salariat entraîne des effets pervers. Une autre façon de voir consisterait à bien reconnaître que nous vivons chacun du travail de tous les autres (c’est véritablement la fraternité), et qu’encourager la vision du travail de chacun pour soi est une chose malsaine. Dans notre association, nous voyons les choses tout autrement. »
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Comment peut-on chercher le prix juste ?
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Il n’est possible de trouver un juste prix qu’en dehors de la spéculation, c’est-à-dire si on renonce à faire fructifier l’argent pour lui-même, si le travail n’est pas considéré comme une marchandise, mais que la rémunération du producteur ou du salarié lui permette, en fonction de ses besoins, de vivre pour continuer son travail (pour l’agriculteur, vivre jusqu’à la prochaine récolte). Ce concept n’est pas évident pour nos mentalités, il fait pousser les hauts cris, mais pour moi, il est porteur de richesse humaine insoupçonnée, car il amène à faire un travail pour l’amour du travail lui-même, et pour l’amour des autres ; en retour, on reçoit le produit du travail d’autrui. »
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Et s’il y a du bénéfice ?
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Premièrement, le bénéfice est normal, il est inhérent au fonctionnement économique, il est calculé à la formation du prix de telle sorte qu’il puisse alimenter le développement des facultés humaines (c’est la culture). Le bénéfice est soit réinvesti dans une activité créatrice de richesses, ou bien consacré en don à des activités culturelles. Mais en aucun cas, il ne s’agit de » placer » de l’argent, pour qu’il fasse des petits. »
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Par rapport aux coopératives, comment se place FRA-TERRE-ECO ?
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Il existe des coopératives de producteurs et de consommation dans la région de Colmar, et c’est très bien ; seulement, les consommateurs ne sont pas très impliqués, cela devrait changer.
FRA-TERRE-ECO tend vers le principe « d’association économique » dans le sens où producteurs, commerçants et consommateurs, se mettent autour de la table et règlent les problèmes (avec l’aide des « médiateurs » choisis parmi eux, pour leur compréhension de l’économie) pour que les productions décidées aillent à leur terme, c’est-à-dire au consommateur (nous le sommes tous !) dans les meilleures conditions pour tous. Le but étant de laisser le moins de hasard possible dans la circulation des marchandises.
FRA-TERRE-ECO voudrait constituer par elle-même une telle « association », fonctionnant selon les lois d’une économie saine, décrite plus haut. »
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Y a-t-il des activités pratiques pour nous faire comprendre votre concept ?
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Voici quelques exemples.
Nous avons ramassé des pommes en quantité pour en faire du jus. Le produit de la vente est utilisé en partie pour alimenter notre fonds d’activités culturelles.
Ainsi, un groupe de jeunes est allé en Roumanie, pour venir en aide à des enfants des rues, accueillis dans une institution religieuse.
Un garagiste accepte la médiation de l’association. Lorsque des gens se recommandent d’elle, il offre une remise de 8 à 25%. Cette somme est alors divisée en trois et chaque protagoniste (le prestataire, le consommateur, et FRA-TERRE-ECO) attribue sa partie au projet culturel de son choix.
4 personnes embauchées en contrats aidés par FRA-TERRE-ECO ont fait les vendanges cet automne chez un viticulteur alsacien. Les bénéfices de cette prestation de service ont été attribués dans le même état d’esprit, pour aider la Culture (associations, artistes, écoles, recherche…). »
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Pour démarrer quelque chose, il faut de l’argent … ?
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L’activité de médiation ne nécessite pas de capital, seulement un téléphone, des idées, des concepts juridiques pour être conforme aux lois.
Mais pour cultiver la terre, ouvrir un magasin, acheter un four, etc…, il faut un capital. Comme nous excluons de nous tourner vers les banques, nous nous tournons vers des sociétaires, qui adhèrent à cette philosophie, qui font des avances, des prêts et des dons ; c’est parce qu’ils comprennent cette approche, contraire de la spéculation, qu’ils ne cherchent plus la rentabilité financière dans leurs placements (c’est la financiarisation de l’économie qui est à l’origine de la plupart des difficultés que nous connaissons actuellement). Il existe de telles personnes, et certaines trouvent normal de donner sans retour. Ou en compensation des dégâts que leur mode de vie passé a engendrés. »
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Comment résumer votre utopie ?
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Notre ambition est de déconnecter le travail du revenu. Tout le monde travaille pour l’association, son projet, la culture, non pour augmenter les profits de cette entreprise.
Nous souhaitons démontrer qu’une vie culturelle libre est un facteur économique important. Si chacun faisait ce qu’il voulait, sans pression, toute la société en profiterait. »
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Propos recueillis par Françoise Schreiber (pour la revue Espoir n°133 de Mars 09) actualisés par Eric Goujot
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FRA-TERRE-ECO : Pierre Barnoux, 09 54 99 56 86, barnouxpi@free.fr
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publié dans le n°2 de janvier 2010, mis en ligne le 24/11/2011
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