Une fable : supervision d’une entreprise
Tous les jours, la petite entreprise voyait arriver ses employés ; ils étaient heureux, oui, disons-le heureux. Certes les salaires pourraient être plus élevés, certes… et aussi… Mais d’un autre côté, ils se sentaient soutenus, valorisés ; ils étaient des forces de proposition. Le mot de hiérarchie ne leur disait rien. Les résultats étaient atteints dans une ambiance fraternelle.
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C’était l’entreprise la plus rentable du groupe.
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Un jour, au siège, on se demanda comment elle pouvait fonctionner de la sorte. A l’ère où les business-unit et les business-area fonctionnent en système matriciel parfait, comment une petite entreprise pouvait-elle produire avec de tels méthodes, hors procédures ! Le contrôle de gestion laissait apparaître des résultats en hausse constante ! « C’est impossible dans notre modèle de management ! Il faut superviser cette boîte ! En appliquant nos modes opératoires, elle produira encore plus. Les actionnaires ne seraient-ils pas ravis, eux qui ont réalisés des plus-values de 452% en 2008 ?»
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Aussitôt dit, aussitôt fait : le Siège recruta un superviseur qui avait une grande expérience dans une grande banque américaine et qui rédigeait de magnifiques rapports.
Sa première décision fut d’occuper le bureau du patron et de mettre en vigueur un système pointage des flux. On truffa les lieux et les personnes de puces RFID, ce qui permettait de superviser comme il se doit.
Tout de suite, le superviseur eut besoin d’une secrétaire pour l’aider à préparer les rapports et constituer le fichier du personnel et un contrôle de l’application des procédures en vigueur.
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Le Siège fut enchanté par la qualité des rapports du superviseur et lui demanda en outre des graphiques décrivant l’analyse des tendances, rapportée aux taux de production, pour les présenter dans les réunions managériales de progrès entièrement consacrées à cette thématique.
La petite entreprise, naguère productive et épanouie, se désespérait de cet univers de procédures et de surveillance qui lui minait le moral !
L’arrivée des employés, un moment de convivialité, s’est transformée en résignation criante de silences. Leurs visages se creusaient, ils ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, toutes ces réunions, ces notes…
Le Siège en conclut que le moment était venu de créer le poste de direction opérationnelle.
Le poste fut confié à un jeune cadre fraîchement sorti d’une Grande Ecole et qui était promis à un bel avenir, au Siège.
Il choisit le bureau des commerciaux, qui émigrèrent dans un coin de l’atelier.
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Ce fut à cette époque que le jeune cadre convainquit le Grand Patron de l’absolue nécessité de la réalisation d’une étude systémique.
Après avoir analysé les rapports semestriels, le Siège s’aperçut que la petite entreprise reculait en termes de rentabilité.
Il recruta immédiatement un consultant prestigieux et renommé, pour réaliser un audit et proposer des solutions.
Le consultant passa trois mois dans les bureaux et ateliers, à raison de 4500 € hors taxes par jour et produisit un énorme rapport de 962 pages, en plusieurs volumes, qui concluait, dans un langage qu’on ne lui connaissait pas :
“Il y a beaucoup trop de personnel dans cette entreprise”
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Devinez ce qui arriva ?
Les activités de la petite entreprise furent délocalisées et on prononça un licenciement collectif.
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Cette fable n’est bien sûr que pure fiction. Tous les personnages sont inventés.
Néanmoins, le superviseur est aujourd’hui passé Chef superviseur, le jeune cadre est, au Siège, responsable des analyses opérationnelles pour l’ensemble des filiales et le consultant prestigieux continue de consulter ; ses tarifs sont passés à 6200 € par jour.
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Comment pourrions-nous réécrire cette fable afin qu’elle ne se transforme pas un jour en cruelle réalité ?
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Fred
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publié dans le n°2 de janvier 2010, mis en ligne le 24/11/2011
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