Chercheur
Comment vous dire. J’étais heureux, durant toutes ces années passées avec lui. J’étais sa seule attention. Les rares distractions que nous avions, étaient les promenades du soir, dans la cité où j’ai grandi ; une cité que j’ai vu se métamorphoser.
Durant la journée, il cherchait, il cherchait, il cherchait.
Il cherchait du travail. C’est le travail qui fait l’homme, me disait-il. Alors il faut chercher du travail.
Parfois il m’emmenait. C’était une sortie supplémentaire.
Je préférais celle du soir car nous étions seuls tous les deux, dans le calme, la sérénité ; heureux !
Lorsqu’il cherchait du travail par contre, je vivais ses souffrances, ses humiliations… « Ah ! vous habitez ce quartier… » « Vous êtes sûr que vous cherchez vraiment du travail ? » « Ca va être dur…vous ne travaillez plus depuis quatre ans… »
De temps en temps je me suis révolté : j’ai grogné. J’étais prêt à bondir, mais je devais me retenir.
D’ailleurs aujourd’hui je refuse de l’accompagner dans ces séances d’humiliation hebdomadaires.
Qu’en pouvait-il de ne plus travailler depuis quatre ans ?
Il était boucher dans une entreprise industrielle ; une période de bonheur intense !
Son travail consistait à suspendre des quartiers de viande à des crochets.
Durant 10 ans, il a fait les mêmes gestes.
Résultat : début de TMS dans son épaule : trouble musculo squelettique disent-ils . C’est là que ses souffrances (pas seulement physiques !) ont déclenché une inéluctable descente.
Premiers arrêts maladie, mise à l’écart dans l’entreprise, avertissements pour manque de productivité, soins et rééducation, mise à pied, dépression, licenciement.
C’est le soir lors de nos quotidiennes promenades qu’il me racontait ses souffrances.
Et aujourd’hui, il cherche du travail… « Ah, vous avez été licencié.. » « Ah, vous n’avez pas de voiture » « Ah vous êtes handicapé » « Ah vous avez divorcé ».
Alors on lui propose des stages pour apprendre à se vendre, pour devenir un « Winner ».
Sa déchéance est directement proportionnelle aux humiliations subies. Quel espoir pour lui, pour nous ?
L’espoir est-il venu ce soir, lorsqu’on a frappé à la porte ? Elle était là ; elle s’est avancée timidement ; nous la regardions tous les deux. Il était subjugué ; il y a bien longtemps que je n’avait vu une telle lueur dans ses yeux. Il finit par s’approcher d’elle, lui prit la main et déclara en me regardant « Claire, je te présente Flop, mon chien ».
Je m’avançais fièrement.
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publié le 26/09/2009
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