Dangereuses contradictions
Comprendre pour mieux agir. A partir de l’expérience pas du tout durable, distributive ni solidaire de la raffinerie de Dunkerque, Jacques Brethé fait ressortir des contradictions fondamentales de notre société. Des arguments implacables, qui rendent incontournables des changements en profondeurs. Du petit lait pour l’Économie Distributive…
Rien n’est pire pour un sujet pensant, que la contradiction, elle affole, elle signifie l’impossibilité à raisonner juste et elle devient rapidement un tracas, un tourment, elle détruit de l’intérieur, elle mine la personne et la société. Ne pas savoir que penser, ne pas savoir où se situe la contradiction crée le malheur.
Le véritable responsable d’une catastrophe, c’est pour l’homme un système de pensée erroné, présenté comme le meilleur, imposé à tous, capable de détruire immédiatement toutes les critiques, une violence habillée, camouflée, organisée, systématique, capable du pire, difficile à éliminer.
On se trouve devant l’horreur, pétrifié, anéanti, atomisé. Qu’il s’agisse de certaines croyances, du colonialisme, du stalinisme, du nazisme, on se trouve toujours en face de doctrines fallacieuses présentées comme des panacées, des modèles qui n’admettent aucune contestation avouant ainsi leur faiblesse, seule la vérité admet et sollicite la critique qui permet de nuancer et de progresser. Le devoir de vérité est un devoir impérieux, un devoir non formulé, inné, une loi non-écrite qui finira par s’imposer.
Proposer la violence de la lutte des classes avec l’anéantissement d’une partie de la population n’a finalement pu résister à la loi non écrite du respect de tout être humain, de l’égale dignité de tous, du droit à l’existence et à la reconnaissance.
Il en sera de même pour le système dit libéral, de la concurrence, du laisser-faire du laisser-passer, de l’enrichissement, de l’individualisme, de la triomphale formule du « enrichissez-vous » matérialiste. Cette doctrine si prisée, si vantée, si répandue est en contradiction avec notre système des valeurs proclamées, elle introduit le malheur dans l’humanité, la lutte, la guerre civile, la pire des guerres et à la fin l’embrasement de la civilisation avec des pertes colossales, un retour au néant. C’est ce système de la contradiction destructrice des sociétés qu’il convient de dénoncer et de combattre à partir d’exemples concrets tels que nous les vivons.
La raffinerie de Dunkerque.
Des valeurs proclamées contredites par les comportements, c’est la folie assurée.
A la base de nos sociétés, dans toutes nos constitutions se trouvent proclamées des valeurs de solidarité, de partage, de justice, d’honnêteté… et les comportements des plus hauts responsables reprenant les poncifs de la pensée dominante proclament au contraire que seules comptent les valeurs économiques, de profit, de rentabilité, de concurrence, de possession, de richesse, et que tout doit ployer et céder sous leurs lois même les pouvoirs politiques. C’est à proprement parler le monde à l’envers, le malheur à portée de main. Et tout le monde endoctriné cède.
Les faits. La raffinerie de Total à Dunkerque est en arrêt depuis septembre 2009. Il n’y a plus d’acheteurs pour l’essence qu’elle produit. Les raffineries sont en surnombre en Europe, il faut en fermer une dans l’immédiat, ce sera celle de Dunkerque qui n’a plus de débouchés.
Le groupe annonce sa décision attendue et redoutée de fermer Dunkerque en promettant de convertir le site pour assurer de nouveaux emplois. Personne ne croit vraiment à la parole donnée. On veut éviter le pire, les licenciements de tous les personnels en comprenant les sous-traitants, en sachant que le pire est inévitable. On se lance dans un mouvement de grève en associant les personnels des autres raffineries du groupe. On crée une grosse pression sur l’opinion publique et le gouvernement en menaçant le pays d’un manque de carburant à la veille d’élections régionales tests.
Les pouvoirs publics interviennent haut et fort prenant fait et cause pour les ouvriers menacés de licenciements. On se démène, certains diraient, on s’agite. On convoque les grands patrons pour montrer qu’on est maître de la situation et qu’on fera prévaloir son point de vue. On envisage des plans de sauvetage des emplois. On obtient pour cinq ans le maintien des autres raffineries du groupe, on condamne malgré tout Dunkerque. La grève cesse car personne n’a de solution de rechange, personne ne veut provoquer des troubles susceptibles de tourner au pire, à la catastrophe. Cet exemple met en évidence les contradictions et les aberrations de notre société comme si elle ne pensait pas vraiment et cela depuis plusieurs siècles, comme si elle s’enfonçait dans le malheur entraînant avec elle le sort de toute la planète.
Relevons quelques contradictions.
Avant d’aller plus loin, il faut bien noter qu’il ne s’agit pas de s’en prendre aux personnes en responsabilité, c’est pourquoi elles ne sont pas nommées. Ces personnes elles-mêmes se trouvent comme prisonnières d’un système de pensée présenté comme le meilleur et personne ne sait où le bât blesse et depuis quand. On essaiera de présenter quelques explications sur l’origine de nos malheurs ailleurs.
Négation de la souveraineté populaire.
La première contradiction fondamentale consiste à dire que le peuple est souverain, que la démocratie sert des valeurs d’humanité, que le pouvoir politique est premier alors qu’il est à la remorque et sous l’emprise des pouvoirs économiques et financiers. C’est le monde à l’envers, il s’agit du règne de l’argent, de la possession des richesses au profit d’un petit groupe. Total s’est prêté à la comédie politique pour éviter le pire, gagner du temps et des appuis, obtenir la cessation de la grève, laisser se former dans les esprits l’idée qu’il n’y a pas d’autres solutions de rechange et que la logique du marché, de la concurrence, de la mondialisation s’impose, on n’a pas à choisir, il n’y a pas d’alternative, il n’y a pas d’autres pensées, d’autres perspectives. Dunkerque sera bien démantelé, les promesses se réduiront, les 400 à 450 salariés des sous-traitants ne concernent plus Total qui n’a aucune obligation légale, ce sera aux pouvoirs publics de s’en occuper. C’est tout à fait dans la logique du système, du libéralisme. Les profits pour quelques privilégiés, les pertes et les dégâts pour les autres. Philosophie connue, combattue mais toujours triomphante.
Les décisions imposées par le pouvoir économique et financier contredisent le respect des valeurs proclamées dans nos constitutions. Nous sommes dans le mensonge. Nous sommes en danger.
Négation de la puissance des États.
Une autre contradiction consiste à vouloir faire croire que le pouvoir politique est premier, maître de la situation, décideur alors qu’il se trouve sous la dépendance d’un pouvoir économique et financier mondialisé qui impose ses volontés, ses solutions, ses exigences de profit, de rentabilité, de concurrence. Il faut céder. Le pouvoir économique et financier actuellement transcende les pouvoirs des États en sachant que ce sont ces mêmes États qui se sont démis de leurs prérogatives en décrétant l’indépendance des banques et en leur confiant à la fois le soin de gérer la monnaie, de la créer et de l’accaparer. Ainsi les États se sont mis aux ordres du monde de la finance qu’ils solliciteront pour obtenir des prêts et encore en versant en plus des intérêts. Il n’y a pas mieux comme sottise. L’inversion de l’ordre naturel des hiérarchies risque de conduire au malheur connaissant l’extrême avidité de certains. Il faut revenir à plus d’ordre et de rigueur pour assurer les conditions de bonheur à chaque personne, que tous aient plaisir à vivre.
Négation en général des valeurs proclamées par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Une contradiction plus générale, plus fondamentale consiste à vouloir construire nos sociétés sur le respect des valeurs proclamées dans les déclarations universelles des droits et des devoirs de l’homme. Il s’agit des valeurs de partage, d’équité, de justice, d’égalité, de solidarité et à peine avons-nous proclamé ces valeurs que la réalité vient contredire toutes ces belles, généreuses et bonnes intentions en prônant l’individualisme, la cupidité, la concurrence, l’accaparement des richesses et des responsabilités, en vantant les lois du marché.
Dans la pratique les plus hauts dirigeants prônent un système qui contredit tout ce à quoi nous croyons comme valeurs sacrées. Il y a là une énorme déception.
Les États sont au service des pouvoirs financiers qu’ils abondent en cas de crise et pour l’ensemble des autres : des restes, des miettes et la compassion des particuliers à travers de nombreuses associations.
Tous demeurent étonnés, frappés de stupeur, interloqués. Il s’agit d’une situation très pénible, d’une blessure ouverte et l’insolence des nantis perdure.
La démocratie a été dévoyée.
N’ayant pas de solution, ne possédant pas une autre pensée de substitution, nous assistons à la dégradation de notre monde, à la décomposition de nos sociétés comme si l’essentiel se situait toujours chez l’homme dans la pensée, une pensée qui embrasse tout et concilie, une pensée au service de tout homme. Il y a une révolution à réaliser de l’ordre de l’intelligence et de la volonté.
Négation de l’abondance possible de monnaie pour tous.
Une autre contradiction consiste à soutenir que la monnaie est une denrée rare, qu’elle n’appartient qu’à quelques personnes, quelques privilégiés alors qu’elle est une réserve de richesse infinie, qu’elle ne coûte rien et qu’elle doit irriguer tout le corps social.
La monnaie se définit comme la reconnaissance par la Société d’un travail, d’un service, d’un mérite sous la forme d’une valeur d’échange. Elle est de l’ordre de l’esprit, de la loi, de l’immatériel, elle s’inscrit sur un chiffre. Elle ne coûte rien, elle est inépuisable et immortelle.
La monnaie constitue le premier lien social.
Priver un individu de logement, de revenu, de salaire revient à l’exclure de la société, à le désocialiser, destructurer, déshumaniser. Il s’agit à proprement parler d’un crime mais maintenant qu’on sait que la monnaie est de l’ordre de l’esprit, des lois, de l’immatériel, qu’elle se puise dans l’infinité des chiffres et des nombres, qu’elle ne coûte rien et qu’elle est éternelle tant qu’un esprit la conçoit et qu’une Société la pense, on peut se lancer dans une politique de construction, d’investissements, on peut donner la main à chacun, c’est-à-dire un revenu et surtout un travail, son insertion et sa dignité, puisque dans toute société il y aura toujours plus de travaux et de services à rendre que de travailleurs pour les exécuter. Nous sommes en pleine révolution. Nous avons les moyens en redonnant tout son sens à la monnaie ainsi que sa place de mettre en conformité, en concordance, en perspective, le bel idéal des valeurs proclamées et la réalité quotidienne.
Ultime et générale contradiction : le renoncement des États à créer monnaie.
En arrière, on peut noter une ultime contradiction, voire un non sens caractérisé. En se démettant de leurs prérogatives de créateurs et de gestionnaires de la monnaie, les États se sont transformés en simples individus sans grands pouvoirs dépendant d’un organisme devenu monstrueux, celui de la finance mondiale entre les mains de particuliers. La monnaie a filé dans les bas de laine, dans les fonds quels qu’ils soient, une monnaie créée à travers des décennies, une monnaie accumulée, des sommes qui dépassent le budget des États. Aucun État ne doit faire appel à ces fonds puisqu’il est en principe créateur de monnaie. Emprunter à ces fonds avec des intérêts en s’interdisant de créer monnaie revient à ouvrir un gouffre puisqu’il sera pratiquement impossible à partir d’un certain seuil de faire remonter par les impôts assez de monnaie pour rembourser capital et intérêts.
Les fonds littéralement pompent, vampirisent des richesses créées par l’effort des particuliers qui ne pourront plus suffire à la fin. Ainsi on en viendra à emprunter pour payer les intérêts et quand un État devenu simple individu ne pourra plus rembourser, il sera bien en faillite. En renonçant à ses prérogatives, il a perdu sa souveraineté pour devenir le citoyen soumis à un système financier. Nous sommes dans l’absurde.
Une hypothèse terrifiante.
Certains ont osé avancer qu’on avait retiré aux États le droit de créer monnaie pour le donner aux banques privées pour qu’ils deviennent des emprunteurs de tous ces fonds privés et par là avec le versements d’intérêt, qu’ils contribuent à l’enrichissement de quelques-uns tout en appauvrissant l’ensemble du monde.
Il faut redonner à l’État, à la Société, le pouvoir de créer, de gérer, de distribuer la monnaie. Bien entendu pas n’importe comment. Il y a des lois, des conventions à respecter, le chiffre qui porte monnaie n’est pas n’importe quel chiffre mais un chiffre placé dans un environnement, dans un cadre précis, surveillé, contrôlé, authentifié.
La monnaie créée par l’État ne lui appartient pas, elle devient immédiatement la propriété des particuliers, ce qui explique l’existence de cette masse de monnaie qui croît sans cesse. Que ces fonds (épargne des particuliers, fonds de pension…) existent ne signifie pas qu’on doive leur emprunter quoi que ce soit. Leur existence ne nuit à personne, ils ne prennent pas trop de place, ils ne se corrompent pas, ils passent les générations, ils constituent une réserve pour les particuliers qui les ont épargnés, des particuliers qui ne voudraient pas voir fondre leur pécule à travers l’inflation, destructrice des monnaies.
En résumé, nous sommes en pleine contradiction, c’est-à-dire dans le malheur :
La démocratie ne sert pas les valeurs d’humanité
Le pouvoir politique est aux ordres du pouvoir économique
Les valeurs proclamées par la Déclaration Universelle sont bafouées
La création de monnaie est infinie et gratuite et on veut nous faire croire qu’elle est rare et chère.
Jacques Brethé
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publié le 12/10/2010
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