La Commune de Paris … Toujours vivante
Alain Amicabile a écrit fin 2009 « La Commune de Paris … Toujours vivante » (éditions de l’Ingénu). L’auteur répond aux questions du Colibri à propos de cet ouvrage et de l’actualité que l’expérience communaliste, trop peu connue, conserve, selon lui, aujourd’hui encore notamment sur la question de la démocratie.
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Avant tout, peux-tu situer le terme « Commune » et sa signification historique ?
Ce que les insurgés du printemps 1871 à Paris nomment “Commune” est le terme exprimant le très long héritage politique des communes de France en lutte dès le XIIe siècle, contre le système féodal.
Résistant et s’opposant aux excès des seigneurs, groupés par corps de métier, les bourgeois des villes ont lutté pour jouir du privilège de nommer leurs magistrats (c’est-à-dire leurs élus) et de se rassembler en armes. Ce privilège, finalement devenu un droit a été, au cours des siècles, réprimé par l’autorité royale chaque fois qu’elle y a vu une menace contre un pouvoir ne pouvant être centralisé qu’entre ses seules mains.
L’idée de “commune” est donc d’abord la contestation de tout pouvoir d’en haut, et l’exigence d’une démocratie la plus décentralisée possible. Toutes les insurrections parisiennes de l’Histoire aboutiront à l’établissement d’un pouvoir communal, plus ou moins durable et plus ou moins révolutionnaire.
C’est la Révolution française qui va instaurer les communes ?
Le terme de “commune”, au sens de l’administration territoriale contemporaine, est imposé par le décret de la Convention nationale du 10 brumaire an II (31 octobre 1793) : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que toutes les dénominations de ville, bourg ou village sont supprimées et que celle de commune leur est substituée ».
Et quand la révolution du 18 mars 1871 se produit, ses acteurs puisent naturellement dans ce fonds d’expérience, n’appartenant pas à la seule bourgeoisie mais au peuple dans son ensemble. L’idée communale, c’est nécessairement la République, seule forme politique compatible avec la liberté et la souveraineté populaire.
Quelles sont les caractéristiques principales de la Commune de 1871 ?
La Commune a pris des mesures novatrices dans le cadre de la première expérience active et législative en faveur “du plus grand nombre”.
Un “grand nombre” expérimentant d’autres rapports sociaux, établissant pour la première fois un pouvoir populaire. Malgré la modestie de certaines mesures, voire même leur insuffisance, la Commune, qui n’a pas disposé du temps nécessaire (elle a duré 72 jours dont 55 de guerre civile imposée par Thiers et les Versaillais) à l’application de certains projets réalisables sur le long terme. Elle a néanmoins été foisonnante dans tous les domaines : politique, économique, social, culturel.
Elle a défriché et exploré des voies nouvelles et laissé des traces dans le temps et l’Histoire, singulièrement dans celle du peuple de France.
Très concrètement , qu’est-ce que cela veut dire ?
Afin d’apprécier le plus justement l’œuvre communaliste, il est utile de garder en mémoire que les réponses aux questions concrètes n’ont pas résulté d’une longue élaboration concertée entre les composantes d’un mouvement ouvrier seulement en voie d’organisation avant la guerre de 1870.
Le bilan de la Commune est, de ce fait, une somme d’initiatives pensées et décidées au quotidien, puisées dans la vie concrète, dans les débats des commissions mises en place, les propositions des formations révolutionnaires, les chambres syndicales ouvrières, les Comités des arrondissements, l’Union des femmes, les Clubs, etc. Quand les propositions sont retenues, la Commune leur donne force de loi.
Pour toute son approche économique et sociale du travail, la Commune a une doctrine claire: “il ne faut pas que le peuple vive de l’aumône mais du travail organisé sur des bases différentes”.
On ne le sait pas toujours, mais la Commune a été élue et donc a reproduit une forme classique de « délégation de pouvoir » ?
En effet et les communards, par la voix d’un de ses membres soulignent aussi les limites de la délégation de pouvoir confiée par le suffrage universel puisque, dit-il : “Que le peuple nomme ses prétendus représentants par la voie du suffrage universel, ou qu’il soit gouverné par quelques privilégiés de la naissance ou de la fortune, peu importe. Le peuple n’en est pas moins à la merci de ces représentants, qui, élus ou non, du moment qu’ils entrent dans le pouvoir, sont par le fait, séparés du peuple, en dehors du peuple, au-dessus du peuple, ennemis du peuple.” Cet avis, émis par Arthur Arnould, un Lorrain, quelques années à peine après la Commune, est dans sa dernière partie fortement imprégné de ressentiment à l’encontre de Thiers et des Versaillais, indiscutablement élus du peuple mais devenus, ô combien, “ennemis du peuple”.
La question n’est-elle pas toujours d’actualité ?
Sans aucun doute mais c’est bien en ce domaine du pouvoir que la Commune a opéré la rupture révolutionnaire la plus marquante. Elle en a changé la conception en montrant qu’il ne suffit pas de changer les hommes en modifiant seulement leur mode de désignation aux responsabilités mais que le devoir, la fraternité, les institutions, l’organisation sociale doivent ensemble être mis au service des nécessités de la réalisation de l’humanité. Pour avoir posé indissociablement ces principes, la Commune, même vaincue, a été plus et surtout autre chose qu’une simple insurrection ou un soulèvement du peuple.
La nouveauté de la Révolution du 18 mars 1871 à Paris réside dans la volonté du peuple de briser un cercle vicieux, car si après avoir renversé Napoléon III et son gouvernement oppresseur, un autre gouvernement oppresseur le remplace, (la République dite des « Jules » et de Thiers) si le tyran tombe et pas la tyrannie, à quoi bon ? Le pouvoir de mettre en application ses volontés continue à échapper au peuple.
En un mot, libérer la voie du progrès de toutes les entraves possibles ?
Prouver le mouvement en marchant, en quelque sorte, poser la première pierre, la pierre fondatrice principale de toute transformation future des sociétés. Hâter l’heure de cette transformation en élucidant, pour la première fois, les règles et les lois assurant la liberté de chaque individu, l’indépendance réelle du pouvoir communal relié à tous les autres de façon à tirer le meilleur de “l’union” qui fait la force du groupe et “l’autonomie” essentielle à la dignité de l’individu comme à la prospérité du groupe.
En quoi cela conserve-t-il une pleine actualité ?
Parce que c’est le contraire de la centralisation d’un pouvoir fonctionnant uniquement par lois et décrets, figeant et immobilisant toute solution dépendant simplement de la seule relation des hommes entre eux, de son développement régulier, sans secousses inutiles. Comme son nom le laisse clairement envisager, le mouvement communaliste repose sur “la mise en commun”, c’est-à-dire sur la restitution à la collectivité de tous les éléments dont dépend l’organisation cohérente et équitable de la société : le sol et les outils de la grande production, l’énergie, les transports et la banque en particulier. Pour les Communards, l’autonomie communale et corporative, la fédération des groupes, n’est pas une fin en soi mais un moyen, un cadre favorisant le développement et l’application des principes de la révolution économique et sociale.
Au moment où on essaie de nous convaincre que l’humanité n’a pas d’autre alternative que « la privatisation universelle » proposer au contraire « la mise en commun universelle » est d’une grande pertinence !
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publié le 08/11/2010
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