L’enjeu des Universités Populaires
.
En dehors du système éducatif « classique » se sont développées des Universités Populaires destinées aux adultes. Comment ces centres de formations rendent-ils populaires les savoirs ?
.
Le 1er mouvement des Universités Populaires (UP) de la fin du 19ème au début du 20ème siècle fut marqué par un engagement collectif des intellectuels pour la cause ouvrière en pleine période de l’affaire Dreyfus. Ce fut tout bonnement la première expérience d’envergure d’éducation des adultes. Mouvement de courte durée mais important (plus de 270 UP), cette démarche montrait (déjà) la difficile coopération des intellectuels et du peuple. En 1907, il n’en existe quasiment plus. Les ouvriers désertaient progressivement ces lieux en dénonçant la tendance « avant-gardiste » de certains protagonistes.
.
Après de timides expériences au cours du vingtième siècle, c’est en 1972 que les UP s’installent de nouveau dans le paysage hexagonal par l’initiative de l’association ATD Quart Monde qui s’engage pour légitimer les savoirs des personnes en grande pauvreté matérielle, ce savoir « issu de la vie » pour paraphraser Geneviève Tardieu1. Dans les années 80 l’AUPF2 souhaite fédérer les autres UP existantes, localisées dans un premier temps en Alsace et inspirées du modèle des Universités Populaires allemandes. On vous proposera des conférences sur des thèmes qui diffèrent d’une semaine à l’autre, des ateliers du « mieux être », du « relooking », du golf, de la préparation aux concours paramédicaux… Ce réseau rassemble le plus grand nombre d’UP à ce jour, car on y trouve également les Universités pour Tous et du Temps libre.
..
C’est bien à partir de 2002, que vont renaître des UP au caractère plus subversif, renouant avec les velléités libertaires de la fin du 19ème ou, tout au moins, identifiées comme des « champs » autonomes de production de savoirs. Le philosophe Michel Onfray, à l’initiative de l’UP de Caen, voit dans ces expériences, des formes concrètes de micro-résistance par le biais d’une transmission de savoirs critiques (sous la forme de cycle d’enseignement), gratuite, ouverte à tous et sans condition de diplôme. On compte une vingtaine « d’UP alternatives et indépendantes », dont celles de Nîmes et Lyon dans lesquelles intervient le sociologue Philippe Corcuff. Ce dernier perçoit, dans ces UP, la participation à la reconstruction d’une « gauche » en crise dans son pilier expérimental.
.
En réaction au modèle que propose Onfray mais surtout au résultat de sa « recherche militante » depuis de longues années, Miguel Benasayag a créé un nouveau « concept », celui d’UPLS3 qui serait une des façons d’exercer du « contre-pouvoir », dont l’UP de Ris-Orangis en est l’archétype en France. Selon lui, l’enjeu n’est pas la seule transmission d’un savoir ou encore moins la proposition de « services pour des consommateurs de loisirs ». Il s’agit de mettre en place une production de savoirs avec les personnes concernées en les formant aux méthodes nécessaires – par exemple, celle de l’enquête sociale – et en s’attachant à répondre concrètement aux problèmes qu’elles vivent dans leur quartier. Il s’agit de produire du « savoir reterritorialisé », non-utilitariste mais qui permet une emprise directe sur leur vie. Ces UP en marge de l’AUPF nous proposent donc une myriade de pratiques qui interrogent toutes la relation du savoir et du pouvoir, même traitée de manière implicite.
« Certains affirment que le savoir théorique n’est pas important. Je me rends compte que c’est toujours ceux qui en ont beaucoup qui disent cela ! Quand on n’est pas une héritière, eh bien, on sait que ça compte pour la lutte… »
Myriam, participante de l’UP d’Aix-en-Provence
.
Cette démarche ne s’improvise pas. S’il est possible de traduire les vécus en connaissances, de produire des savoirs théoriques et pratiques qui suscitent les engagements, il faut aussi posséder les savoirs pédagogiques, utiliser les outils et exploiter cette production pour qu’elle devienne source de « puissance d’agir »4. C’est cette dialectique permanente entre les méthodes et les désirs politiques, qui est propre à cette éducation populaire que l’on défend. Il est à souhaiter que les UP deviennent ces lieux de « coopération conflictuelle »5 – entre des acteurs ayant un rapport différent aux savoirs – et interrogent le sens politique que peut prendre leur action.
.
Joackim Rebecca
Doctorant en sociologie et coopérateur de la Scop d’éducation populaire « le Pavé » (www.scoplepave.org)
.
1 Ancienne permanente d’une UP ATD Quart Monde, cf. sa thèse « La construction du savoir émancipatoire »
2 Association des Universités Populaires de France
3 UP de Laboratoire Social qui a donné naissance à un réseau international du même nom.
4 Concept développé par le philosophe Spinoza dans « l’Éthique »
5 Expression de Bernard Eme, sociologue et Professeur des Universités à Lille 1
.
publié dans le n°7 de septembre 2011, mis en ligne le 16/12/2011
Commentaires récents