Le revenu de citoyenneté au Brésil : rendez-vous manqué ?
.
Le Brésil avait créé la surprise en 2004 en adoptant une loi sur le Revenu Citoyen. Sept années plus tard, le réalisme politique a eu raison du projet. Une expérience à décrypter pour éviter de refaire les mêmes erreurs.
.
Dès son premier mandat de sénateur de l’État de Sao Paulo en 1990, le membre et cofondateur du Parti des Travailleurs Eduardo Matarazzo Suplicy a proposé des idées radicalement nouvelles pour une redistribution des richesses et le traitement de la pauvreté. Son premier projet de loi en 1991 pour la création d’un impôt sur le revenu négatif n’avait pas été voté… mais à force de persévérance, le Président Lula a signé le 8 Janvier 2004 la loi brésilienne instituant un revenu de citoyenneté, qui avait été approuvé à l’unanimité par le Sénat puis par la Chambre des Députés1.
.
Le gouvernement Lula devait regrouper quatre programmes : bourses scolaires, bourse alimentation, aide au gaz et carte d’alimentation (Faim Zéro), pensant qu’il valait mieux que les bénéficiaires puissent utiliser à leur guise l’argent reçu. Une mise en place progressive était prévue, en fonction des ressources disponibles du gouvernement (donc dépendant des résultats économiques) en commençant en 2005 par 11,4 millions de familles (plus du quart des habitants du pays) dans les régions les plus pauvres. L’objectif à terme était de verser un revenu à tous les citoyens, sans condition de ressource (ce qui élimine les coûts et lourdeurs des services d’évaluation des ressources, et supprime la stigmatisation du pauvre qui n’a plus à déclarer des revenus insuffisants).
.
Qu’est devenu ce projet sept ans plus tard ? Malheureusement, très peu par rapport à son ambition, car les décrets d’application n’ont pas été rédigés et la loi n’a jamais vu la lumière. En pratique, elle a été remplacée par d’autres politiques sociales focalisées, considérées plus valables du point de vue des urgences sociales. Elles n’ont guère avancé dans le sens d’une transformation des assistés en vrais « citoyens » responsables du bien commun et de l’ensemble des décisions politiques.
.
Je connais personnellement le Sénateur Eduardo Suplicy depuis une trentaine d’années. Tout au début des années 80, nous avions lancé ensemble un programme de théâtre d’avant-garde dédié à la promotion de la démocratisation à partir d’activités culturelles dans le milieu syndical, là où est né le Parti des Travailleurs, pendant la dictature militaire qui a duré de 1964 à 1985, la plus longue du pays. Il faut donc reconnaître sa patience historique, son obstination et la fermeté de ses idées. C’est sans doute pour cela que le Président Lula avait signé cette loi en 2004. Mais cela n’a pas suffi.
.
I l y a, cependant, deux remarques qui me paraissent importantes deux décennies plus tard. D’abord, il faut bien reconnaître que de nouveaux mouvements sociaux, tels que le Mouvement des Travailleurs sans Terre (MST) et le mouvement de l’économie solidaire, se sont bien développés, de façon autonome, sans que les politiques publiques ne les favorisent. D’autre part, le Budget participatif, né à Porto Alegre puis répandu dans presque deux cent villes dans le pays, a représenté un courant contre-hégémonique aux tendances néolibérales, qui à son tour a poussé un vigoureux mouvement de construction de citoyenneté.
.
Ces deux courants nous semblent montrer que « rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est arrivée » (Victor Hugo) : ce ne serait donc pas un rendez-vous manqué pour la construction de la citoyenneté, même si celle-ci a commencé sans le revenu de citoyenneté que l’on attend depuis si longtemps.
.
Heloisa Primavera
.
Article d’HP « Le revenu de citoyenneté au Brésil : l´histoire d’une obstination ou manque d’approche systémique ? »
.
.
publié dans le n°6 de juin 2011, mis en ligne le 15/12/2011
Commentaires récents