Revenu d’Existence : Capitalisme ou Distributisme ?
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De nombreuses propositions émergent un peu partout, à droite comme à gauche, dans de plus en plus de pays, en vue de faire émerger un revenu d’existence. S’il revêt plusieurs noms (salaire, allocation, dividende, dotation… social, universel, de base, minimum, citoyen…)1, il est toujours inconditionnel. Mais son montant varie fortement d’un promoteur à l’autre (dans un rapport de un à dix), de même que son mode de financement. Comment se positionne la proposition distributiste ? Pourquoi est-ce la proposition la moins utopique ?
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L’Économie Distributive (ED) combine Monnaie Distributive, Revenu d’Existence (RE), Partage du travail, Démocratie participative et locale (le plus possible) et Propriété d’Usage. Les revenus sont donc distribués aux gens avec une monnaie d’un nouveau genre.
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Cette monnaie est créée lors de la mise en vente des biens et services que l’on a produits ; elle est détruite lorsque les consommateurs achètent ces biens et services. Elle n’est donc pas créée par la volonté des banques ni par celle des gouvernements (qui, comme on l’a vu dans les pays stalinistes ou fascistes, faisaient du capitalisme d’État, en créant autant d’argent qu’ils voulaient, avec ou sans contre-partie dans l’économie réelle), elle est créée en fonction de la somme des biens et services produits par les agriculteurs, artisans, entreprises… Elle n’est pas thésaurisable, la spéculation et son accumulation ne sont plus possibles.
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La nouvelle monnaie produite chaque mois est donc partagée équitablement entre tous les habitants, soit par un revenu de base associé à des revenus d’activité, soit par un revenu unique, indépendant du travail et égalitaire. Ici, les promoteurs de l’ED sont partagés. Le droit aux produits et aux services doit-il être égal pour tous ? Jacques Duboin ménageait déjà la chèvre et le chou en 1936…
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Côté pile, « je conviens que cette prétention apparaît exorbitante à première vue car elle heurte brutalement les usages, les préjugés et, disons le mot, les préventions. Empressons-nous de dire que l’égalité économique absolue de tous n’est pas indispensable à l’économie de l’abondance. Il est possible de prévoir, surtout dans les débuts, tel ou tel mode de distribution avantageant par exemple l’ancienneté, les aptitudes, la responsabilité, la collaboration intellectuelle. »2 Pour beaucoup, des revenus égalitaires ne permettraient pas de respecter la liberté individuelle et conduiraient à une dimension collectiviste.
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L’idée alors proposée est que chacun reçoive sans condition une base suffisamment conséquente pour assurer les besoins fondamentaux (manger, se loger, s’habiller, s’éduquer, se soigner). Ces besoins fondamentaux assurés, libre à chacun de s’adonner à des activités rémunérées ou non pour améliorer son mode de vie et réaliser ses aspirations. Ainsi seraient réunies les deux conditions nécessaires à toute vie humaine digne de ce nom : être à l’abri des contingences liées à la survie et pouvoir se réaliser pleinement à travers ses choix sociaux et culturels.
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Côté face, « en fait, je ne vois pas le critérium dont on pourra se servir (…) l’abondance excluant la nécessité de faire des portions (…) L’idée de récompenser le labeur fait encore partie de l’ère de la rareté. Tout ce que la société peut exiger de ses membres, c’est l’effort, quelle que soit son efficacité puisque celle-ci dépend de circonstances étrangères à la volonté humaine. Pourquoi le fait d’être plus intelligent ou plus vigoureux créerait-il un titre à une rémunération plus élevée ? Si le travail du bœuf est plus considérable que celui de l’âne, récompensez-vous le bœuf et punissez-vous l’âne ? La justice sociale est un bienfait qu’apporte l’ère de l’abondance. L’effort seul est réclamé, dans la mesure des aptitudes, alors que le résultat dépend des facultés de chacun » 2. En pratique, comment pourrait-on légitimer des revenus inégaux ? Si la responsabilité devait être un critère, qui a le plus de responsabilité entre un chirurgien et un chauffeur de bus ? Et la productivité ? Il est impossible de comparer la productivité de deux professeurs (puisque les élèves sont différents), de deux conducteurs de machine (puisque les aléas de productions ne dépendent pas d’eux)… Il faudrait des négociations à n’en plus finir, ce serait tellement plus simple de ne plus chipoter pour des miettes.
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Mais surtout, l’argument en faveur d’une distribution égalitaire vient des limites de la planète et de la nécessité de coopération. Travailler plus pour gagner plus, c’est criminel lorsqu’on connaît l’équation de l’empreinte écologique3 : pour diminuer notre espace écologique, il est nécessaire de fermer la moitié des usines de la planète, tout en partageant-mutualisant les ressources, les process et les produits. Comment pourrais-je accepter la fermeture de mon usine si je perds un revenu d’activité ? Comment pourrais-je m’entendre avec les autres producteurs pour augmenter qualité et rendements de la filière, si l’augmentation des productions des voisins risquent de m’empêcher de vendre mes produits ?
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L’idée qui en découle est que chacun reçoit un revenu unique, égalitaire. Sauf pour les éventuels tire-au-flanc – si le sondage suisse4 se trompait et que trop de gens se mettaient à profiter du système – la parade serait la suivante : ceux-ci ne toucheraient plus qu’un RMnI (Revenu Minimum de non Insertion). Ce serait là un choix de leur part de s’auto-exclure du système.
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Le financement du RE à la mode distributiste (couplé ou non à des revenus d’activité) est aisé en ED, 80% des gens sont assurés de vivre mieux que maintenant. Qu’en est-il du côté du RE en économie capitaliste ?
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Les idées les plus répandues actuellement combinent une redistribution des aides sociales, une refonte de l’imposition (impôts sur le revenu, TVA, voire taxation des transactions financières) et une « création monétaire » par des banques privées (avec des taux d’intérêts assez faibles). Citons en exemple une proposition allemande qui consiste en une profonde révolution fiscale permettant de simplifier et de condenser l’ensemble des impôts sur une TVA unique de l’ordre de 50%. En avançant l’idée d’un RE de l’ordre de 1000 €/mois, c’est à partir d’un revenu global (RE + revenu(s) d’activité) dépassant 2000 €/mois que les citoyens commenceraient à payer des impôts.
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D’une façon ou d’une autre, on déshabille Pierre pour habiller Paul, sous les yeux amusés des banques et des multinationales qui tireront les marrons du feu. Même si l’on réussit à utiliser en partie des monnaies complémentaires, le système reste basé sur des monnaies cancéreuses, en croissance exponentielle5 : compétition, accumulation et spéculation seront toujours les règles de base de la vie en société. Pour augmenter ou simplement maintenir les revenus d’activité, la monnaie étant déconnectée de l’économie réelle, les producteurs pousseront à la consommation et augmenteront les prix… et absorberont la manne du RE. Ne soyons pas naïfs : quelle que soit la majorité démocratique, les détenteurs des cordons de la bourse n’accepteront de financer le RE que si ça leur rapporte.
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A ce niveau, la mise en place d’une Monnaie Distributive est bien moins utopique, car elle ne nécessite pas la coopération des nantis (lorsqu’on mettra en place la monnaie distributive, on supprimera les monnaies actuelles, les comptes en banque seront remis à zéro).
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De surcroît, il y a un autre aspect à mettre sur la table : le principe du RE ne résout qu’une portion de la problématique des revenus. Que prévoit-on du côté des revenus du foncier ? Si l’instauration d’un RE ne s’accompagne pas d’un blocage des loyers, les propriétaires vont se frotter les mains. La question devient épineuse, sauf si l’on opte directement pour une ED : la propriété d’usage6, si l’on réfléchit bien, permettra à la plupart d’entre nous de vivre beaucoup mieux.
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Les promoteurs du RE en système capitaliste ont le mérite de contribuer à la révolution culturelle. Mais à vouloir avancer par petites étapes, on piétine et recule. Instaurer un RE dans l’économie capitaliste est autant risqué que le partage du travail par les 35 heures françaises, qui n’ont pas débouché sur un réel partage du travail et qui ont dégoûté plein de gens. Il faut régler en même temps le partage des revenus, la création monétaire et le partage du foncier ! Quoi de mieux que l’ED ?
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Éric Goujot
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1 La bataille des mots nous importe peu ici, nous utilisons le terme de Revenu d’Existence sans rejeter les autres appellations.
2 Jacques Duboin, 1936, p.233
3 cf. article « Sortir de l’expérimentation, généraliser nos alternatives », Colibri S&D n°5 p.13-14
4 cf. article sur le sondage allemand p13
5 cf. bibliographie à la page Liens du site http://ecodistributive.chez-alice.fr/index.php?page=liens
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