Louise Weiss, une alsacienne au coeur de l'Europe | LE COLIBRI Solidaire et Distributif

Louise Weiss, une alsacienne au coeur de l’Europe

A livre ouvert

Les flèches d’une « sans signature »

Une biographie^¹, un kaléidoscope.

Tenez bien en mains le tube aux miroirs, car l’allure, aux sept entrées, suit les pas d’une femme intrépide : Louise Weiss.

Michel Loetscher nous (a)dresse un mouvement, embrassant les complexités si singulières d’une femme mêlée à celles d’une histoire collective…européenne, mondiale, sans mélancolies. Adieu tristesse !

Le regard ne s’y perd pas, il s’y réveille.

Seuls les pas fermes et prompts de Louise lui dérobèrent sa féminité (règne de lenteur). Une cadence fut sa tache aveugle, son « regret » d’un Amour non-advenu (romances, il y aura eues). L’amour s’accomplira du politique, d’un « Ose savoir! »^².

Aux origines…, qu’elle fût alsacienne, et qu’elle y revînt aux toutes fins, fleurit en belle saison une rose jaune à Saverne^³.

Aux origines, point d’hymne national^⁴ ! Les murs n’ont qu’à bien se tenir, Louise y creusera des portes, des fenêtres, sciera quelques barreaux si il le faut. Car, de cette dame, retenons déjà la vraie proposition, insistante, géographique : rompre les frontières pour l’Homme, seule promesse d’une citoyenneté libre, « avec âme » et paix.

Les pages égrènent les détails des cristaux et serpents qui s’entrechoquent : bascules, ruptures, achoppements….ils dessinent les forces et ses rapports qui forment l’Histoire : hasards, rencontres, salons, carnet d’adresses, décisions….folles. Une plume journalistique s’en emparera (et se rêvera littéraire), explorera les mondes, sera témoin des confins en images seconde, un cinéma.

Faire oeuvre et si possible belle.

La beauté, clé du biographe, qui du verbe écrit à sa fidélité aux Mémoires d’une européenne, allie les brefs enchantements aux faits extraordinaires.^⁵

Voilà, Louise est drapée dans son temps et s’emploie à en examiner les plis sous un mot heureux « nouvelle » : 1918, elle crée L’Europe nouvelle^⁶, revue audacieuse qui fera autorité auprès …des autorités internationales jusqu’en 34 ; par le Petit Parisien, elle devient première femme grand reporter, elle se mêlera aux peuples ; 1934, elle anticipe La Femme nouvelle (suffragettes et poudre de riz, acquis 1946), puis, et puis une nouvelle espérée (toujours en bourgeon) la paix, par l’invention de l’Ecole de la Paix, etc^⁷.

Désirs d’uchronie, elle souhaite déloger l’Histoire de ses fatalités, stratège, elle convie quelques mots de Victor Hugo : créons les « Etats-Unis d’Europe »^⁸. Il n’en sera rien. Une saignée « politique » (« la « modernité » des fascismes »^⁹) aura raison des nouvelles.

Fin d’un miroir, pivotons l’outil.

Louise Weiss continue sa soif de combats et de réussites contre tous les déterminismes imposés par les lois^¹⁰, par l’anatomie. Elle espère façonner cette non-matière du symbolique par sa volonté de lionne …

Dernier regard pour le peuple : l’homo europeanus^¹¹ ne fut pas convié à la construction des « Etats-Unis d’Europe »^¹². L’institution européenne, née d’idées mortes avec leurs auteurs^¹³, n’en a adopté que la vitrine : « L’Europe, elle se sait une âme. Or, elle ne parle que serpents, cochons et vinasse. Le serpent est monétaire. Les cochons sont bouffis de maïs et de betteraves compensés. Sa vinasse est frelatée. »^¹⁴

Michel Loetscher, avec brio et riches documentations, nous invite à être voyant.

Une lettre, plus encore qu’une biographie, qui mise en souffrance oblitérerait un espace d’horizons-réflexions.

Texte au présent clôt par le « Discours d’ouverture du Premier Parlement européen élu au suffrage universel »^¹⁵ , Louise Weiss tend une dernière fois son arc et décoche : « Le mensonge ne porte aucun fruit. ».

Révérences…

Corinne Brochot

1Michel Loetscher, Louise Weiss [Une alsacienne au coeur de l’Europe], Éditions Place Stanislas, 2009.

2Ibid. p.110

3 Saverne est la ville légataire universelle de L.Weiss, une rose porte son nom.

4 enfin, presque…

5 Louise Weiss connut tant de personnalités qu’il faut le lire pour y croire.

6« […] création d’un journal susceptible de participer à la création d’une conscience européenne. »ibid. p.28.

7 Chair de polémologie à la faculté des sciences humaines de Strasbourg, 1971 ; Institut des sciences de la paix, fondation Louise-Weiss.

8Ibid. p.133

9Ibid. p.124

10« Les atrocités de l’univers concentrationnaire avaient été commises au nom d’un droit – un autre droit, comportant les lois raciales, dites de Nüremberg. », ibid. p.86.

11« en 1507 […] « L’homo europeanus existait alors. Il déambulait sans passeport de l’un de nos hauts lieux à l’autre. » », ibid. p.153.

12« Nous avons fait l’Europe, mais le peuple européen n’existe pas. », B. Geremek, ibid. p.153.

13Aristide Briand, Jean Monnet, Robert Schuman.

14 extrait de ses Mémoires, 1976, ibid. p. 149

15 Strasbourg, le 17 juillet 1979 .

publié le 06/02/2010

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jd

in mars 26th, 2012 @ 19:20

Bien aimé les images de « kaléidoscope » et « tube aux miroirs », « allure » peu commun dans ce sens. Souvent ceux (ou celles dont l’écriture n’est pas le métier au sens purement littéraire du terme ont des audaces dont les purs littérateurs seraient incapables car n’oseraient pas par formatage syntaxique, formel! J’avais eu cette intuition en lisant « Monk » (bio de Thélonious « Sphère » (jte jure c’était son deuxième prénom mais seul De Wilde en parle!) Monk, pianiste jazz bebop fou) du pianiste de jazz (mais qui a commis « Time 4 Change » et quelques albums d’electro jazz début 2000) , où en pleine bio il part dans un délire personnel sur quand vous marchez ivre dans une rue en pente….puis reprend la vie de Monk ! C’est un peu ce que tu fais en intercalant après le second paragraphe une réflexion plus personnelle : « Le regard ne s’y perd pas, il s’y réveille » qui parle directement de la tienne à la pensée du lecteur, comme une invite personnelle!
Aussi le fait d’oser le double sens d’ « (a) dresse ».
T’as vraiment une prose libre, exigeante, plus réflexive que narrative, comme si chaque parenthèse ou virgule était une bifurcation de la pensée, mais qui l’empêche de s’endormir dans le ronron passif du lyrisme, mais maintient l’esprit en éveil.
Parfois on dirait à première vue que ça n’a rien à voir comme «Seuls les pas calmes et prompts de Louise lui dérobent sa féminité (règne de la lenteur) » et finalement il y a quand même une clarté de la pensée qui s’impose en mouvement, même si cette parenthèse semble au début briser l’élan de la période ternaire de la phrase, et finalement la prolonge d’une autre réflexion, mise en abyme, certes, mais aussi PONT vers autre chose, une réflexion sur la féminité comme lenteur dans un monde rapide ou l’inverse. On dirait que chaque phrase n’est pas ETAPE mais ABOUTISSEMENT de pensée et qui en ouvrirait d’autres au lecteur, si bien qu’on a presque de s’arrêter à méditer chaque phrase, mais ça prendrait des heures hihihi.
« Une cadence fut sa tache aveugle » semble expliciter la phrase précédente, mais a son propre charme, cette fois au contraire VRAIMENT formel, plus que dans l’idée, qui interroge sur cet usage du mot, presque de la chose, de la couleur « tache » et à plus forte raison « aveugle », est en elle-même semble si simple et belle pour elle-même. Chaque phrase et élément de phrase pourrait-t-on dire existe par elle-même plus que comme un élément d’un tout organisé! Ou peut-être est ce moi qui redécouvre grâce à ton texte le plaisir littéraire enfoui avec une nouvelle fraîcheur oubliée. Cela fait des années que je n’écris plus sur la littérature mais que sur la musique où c’est MOI l’auteur, et j’avoue y avoir souvent plus de mal, mais là non car chaque phrase ou élément de phrase interroge forme et sens mêlés.
Aussi cette inversion à la fois moderne et d’un lyrisme ancien d’ « (Amours il y eues )» ou même ce féminin du pluriel fait sens pour qui sait le voir, je crois qu’au féminin c’est plus sincère qu’au masculin (ce qui me semble logique hélas, quand je vois mes congénères !), je me souviens d’une réflexion de Gabriel Matzneff sur le sujet et son livre « mes amours décomposés » car il ne les aimait pas vraiment. Je trouve ça beau même si sacrificiel de dépasser l’amour perso, égoïste, contrarié par celui universel (ou qui l’était encore à l’époque ou le communisme marxisme était moins galvaudé qu’aujourd’hui, moins corrompu, se battait au jour le jour comme Rosa Luxembourg ou la photographe Tina Modotti qui s’exila au Mexique pour les damnés de la terre qui et en réalité pour elles était TOUTE L’HUMANITE en souffrance. J’ai eu l’impression de toucher ça dans une moindre mesure du bout du doigt en décembre 95 où j’ai connu Gérôme Champion à l’occupation de la fac, quelque chose entre nous qui était plus que la somme de nos individualités et que j’avais nommé « mystique » dans « Monde Cruel » où j’avais écrit sur la Grêvolution, sel représentant de la rubrique Expression Libre ! Et cet « Ose Savoir » est aussi la forme insolemment moderne, mais ais aussi très ancienne dans la philosophie antique maïeutique (connais-toi toi-même) poussée à une conscience politique!
La phrase de Loetscher est très belle aussi, et avec le même goût pour un certains lyrisme, finalement, mais fragmenté par les ruptures syntaxiques là encore pour empêcher que le lecteur s’y installe et endorme comme dans un fauteuil confortable! Et vous avez en commun la préoccupation naturaliste, botanique, remettant la poésie en racines locales sous la forme de cette rose jaune portant son nom.
« Aux origines, point d’hymne national » je comprends mal, peut-être car dans l’entre deux guerres elle refusait l’absurdité de choisir entre l’allemand depuis 1870 et le français de 1918, etc… Et puis les murs à briser, barreaux à scier, s’adressent à nouveau à nous aujourd’hui qui ne scions plus de barreaux ni ne perçons de fenêtres dans nos murs !
« Rompre les frontières de l’homme « avec âme » et paix ». Là je retrouve ta pensée Âmarchiste de l’Humanité à construire, Miss !
Il y a aussi de belles images comme « les détails des cristaux et serpents qui s’entrechoquent », mais tout de suite le mouvement « bascules, ruptures, achoppements » historique reprend son cours avant qu’on ne s’y endorme, et celle aussi de sa vie, de ses rencontres, engagement, art aussi.
« Faire oeuvre et si possible belle. »est la phrase qui exprime le mieux cette simplicité limpide et ramassée, brillante, qui vaut pour elle-même !
J’adore l’idée de « la beauté, clé du biographe, allie aux brefs enchantements les faits extraordinaires » .
Le « Voilà » asséné seul, ça fait comme le reste, les phrases courtes, un peu Duras (que j’ai plus aimé par principe que pour l’avoir lue, me suis ennuyé à Modérato Cantabile», moins à « L’homme assis dans le couloir », les seuls que j’aie lus et peut être pas les meilleurs).
« Louise est drapée dans son temps et s’emploie à en examiner les plis sous un mot heureux « nouvelle » » j’aime beaucoup cette phrase, l’image là encore ancienne jusqu’à Rome ou à la Grèce en toge et moderne à la fois « drapée dans son temps », les « plis » qui la modernisent, et le tout devient image « sous un mot heureux nouvelle », filée ou fleurie après un court paragraphe de récit (tout de même et super intéressant de sa vie, quant au sens, mais moins forcément quant à la forme pour moi) « toujours en bourgeon » !
Tiens Les Etats Unis d’Europe » Y a un candidat qu’en a parlé, je sais plus qui… Bayrou ? Dupont Aignan de « Debout La République » ou peut être Vals lors des primaires PS ?
J’aime bien ta définition de l’uchronie « déloger l’Histoire de ses facilités », avec ce verbe populaire, violent, en acte, comme le mot « saignée » aussi, concret, médical ancien et dans un autre sens plus tragique actuel!
Et puis à nouveau rupture : « Fin d’un miroir, pivotons l’outil », là encore très concret mais miroir poétique comme par contaminations outil, de purement usuel, le devient ici.
Et puis on retrouve l’anarchie contre « tous les déterminismes imposés par les lois » mais, saltation ailleurs à nouveau dans le concret l’intime par « l’anatomie » et très belle image concrète, animale « espère façonner cette non matière du symbolique par sa volonté de lionne », mais comme à chaque fois, ce n’est pas QUE beau mais appelle aussi réflexion, et action !
J’aime beaucoup la citation de l’auteur sur l’ »Homo Européanus libre », qui me rappelle là encore ce que Matzneff a écrit quelque part sur le fait d drapée dans son temps que Casanova ou Voltaire étaient libres de se déplacer en Europe, déjà Européens…. Mais très privilégiés financièrement évidemment dirait un point de vue marxiste, quoique des vagabonds, baladins, étudiants, musiciens faisaient comme eux à l’époque…
C’est dur le fait de penser l’Europe morte avec ses auteurs faute d’un peuple commun ou uni mais peut-être hélas pas faux. N’a-t-on pas finalement créé l’Europe une fois de plus POUR LE FRIC et que des financiers s’en mettent ENCORE pleins les fouilles jusqu’à la crise provoquée dont ils osent placer les gens de Goldmann Sachs (banque responsable de toutes les crises financières de puis 1929 comprise) à la tête des pays les plus pauvres d’Europe pour imposer l’austérité !
J’aime aussi : L’Europe, elle se sait une âme. Or, elle ne parle que serpents, cochons et vinasse. Le serpent est monétaire. Les cochons sont bouffis de maïs et de betteraves compensés. Sa vinasse est frelatée » pour sa provocation, mais un certain réalisme aussi !
Là encore concrétisant les métaphores animales, mais cette fois dans un but polémique.
Voyant c’est Rimbaud, la Lettre du Voyant, j’aime sa lumière, sa fulgurance, mais comme lui dans cette lettre Baudelaire reste pour moi « Le plus grand des poètes » pour la perfection formelle, même s’il nous donne moins envie de vivre que Rimbaud, qui finit par préfèrer la Vie à la Poésie, en allant faire du commerce d’armes et d’esclaves au Harrar, certes, ce qui n’est pas glorieux pour un type qui avait connu La Commune! Horreur Harrar Arthur (Thiéfaine).
Là encore, « Lettre encore qu’un biographie »…. prolongée d’un autre sens car « mise en souffrance » et avec plus d’espoirs à des « horizons réflexions ».
Fin un peu tragique mais réaliste avec « Le mensonge ne porte aucun fruit » et Révérence finiale avant les RéFérences ! J’ai honte j’habite près de l’Arrêt Jean Jaurès du tram (apparemment la personne qui a enregistré le message du tram ne savait qui c’était, puis qu’il dit « Jean Jaurè…Oh Pardon Jean Jaurès » et qu’ils l’ont laissé !) pas loin de l4aristide Briand et ne sait pas qui était Aristide Briand !

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